Jean Van Lierde

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Jean Van Lierde
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Biographie
Naissance
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CharleroiVoir et modifier les données sur Wikidata
Décès
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Nationalité
belgeVoir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Militant pour la paix, objection de conscienceVoir et modifier les données sur Wikidata

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Logo de l'IRG : le fusil brisé

Jean Van Lierde est un militant pacifiste et antimilitariste belge né le à Charleroi et mort le . Il se définissait à la fois comme militant chrétien et libertaire[1],[2].

Il est considéré comme l'initiateur du statut de l'objection de conscience en Belgique.

Biographie

Il a été président de la branche belge du Mouvement international de la Réconciliation (MIR/IFOR), de l'Internationale des résistants à la guerre (IRG - WRI), du "Bureau Européen de l'Objection de Conscience (BEOC)", ainsi que fondateur puis secrétaire général du "Centre de recherche et d'information socio-politique (CRISP)" et cofondateur du "Comité National d'Action pour la Paix et le Développement", devenu la "Coordination Nationale pour la Paix et la Démocratie (CNAPD)".

Cet homme profondément humain et non-violent est resté anti-militariste toute sa vie. Il a joué un rôle important dans la reconnaissance du statut d'objecteur de conscience en Belgique et s'est efforcé de traduire son « engagement non-violent dans une réalité communautaire, collective et internationaliste ».

C'est ainsi qu'il s'est engagé dans la lutte d'indépendance du Congo belge. Pendant la formation du premier gouvernement congolais en 1960, il fut l’intermédiaire entre Patrice Lumumba et le gouvernement belge.

Penseur autant qu’homme d’action, Jean Van Lierde écrivait : « Il faut un maximum de culture politique pour être un militant non-violent et anti-militariste ».

« Une certitude en moi : après le fascisme et divers totalitarismes - de gauche et de droite - je pense qu'un nouveau manuel doit être préparé pour toutes les écoles du monde, c'est l'Éloge de la désobéissance. »
(1991)

Jeunesse

Libertaire et anti-militariste

Jean Van Lierde est né à Charleroi le , dans une famille catholique modeste. Il a deux frères et une sœur. Comme «il y avait peu d'argent» à la maison, son père le fait entrer à 15 ans à l'usine où il est contremaître. Ayant dû interrompre ses études, il se rattrapera par la suite, en autodidacte passionné de littérature et d'archives.

Sur les traces de son frère aîné, André, il s'engage dans la résistance. À la Libération, en 1944, il s'insurge contre le traitement infligé aux collaborateurs, prisonniers battus, femmes rasées : «Je croyais que nous nous étions battus contre le fascisme pour ne pas devenir des salauds» dira-t-il. Il retient des excités qui voulaient « flinguer » quatre officiers allemands qui s'étaient rendus. On le met à l'écart de la garde des prisonniers politiques. «Peut-être cela a-t-il été l'éveil de ma vocation anti-militariste et anti-guerre ?» Jean Van Lierde était alors dirigeant dans l'Action catholique, le scoutisme et dans la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Il collabore à diverses publications : Carrefour des routiers (scoutisme), La Relève, Le Brabant Wallon. Il participe à l'équipe diffusant Témoignage chrétien, dans laquelle il rencontre en 1948 Claire Audenaerde, qui devient son épouse en 1952.

Arrivé à Bruxelles en 1945, il fait la connaissance du groupe libertaire Pensée et action avec Marcel Dieu, dit Hem Day, anarchiste, franc-maçon et objecteur de conscience, membre du conseil de la WRI. Il deviendra son ami, et c'est lui qui lui apprend que dans son Église, «il y a une longue tradition de résistance à la guerre et de non-violence. Depuis l'Église primitive, une série de chrétiens, des prêtres, des moines se sont dressés contre le pouvoir militaire».

En 1947, assistant à l'une des premières rencontres entre les prêtres ouvriers français à Überlingen, près du lac de Constance, il apprend que des milliers d'objecteurs de conscience allemands avaient refusé de prendre les armes et avaient été fusillés ou décapités par les Nazis. Sa résolution est prise : lui, le résistant antifasciste, se dit qu'en souvenir de tous ceux qui ont résisté pendant cette guerre, jamais il ne portera l'uniforme et jamais il ne deviendra soldat.

Objection de conscience et emprisonnement

Quand, en 1949, Jean Van Lierde reçoit son « ordre de rejoindre », comme on dit en Belgique, il envoie une lettre ouverte au ministre de la Défense nationale pour lui faire part de son «refus d'accomplir ce service qui rend obligatoire l'apprentissage du crime, Mon christianisme m'enseigne que la fin ne justifie pas les moyens. En refusant ce permis de tuer que les gouvernements des États accordent si facilement à leurs jeunes, je ne cherche pas une attitude de neutralité. Mon pacifisme est lié au combat de tous les opprimés du monde qui luttent contre toutes les formes de tyrannie, N'acceptant pas l'oisiveté des casernes je suis prêt à servir volontairement les communautés humaines en détresse, villages sinistrés, chantiers internationaux de service civil, etc.»

Lundi , Jean prend congé de la vie familiale, Dernière mise au point de sa correspondance, dont une lettre à un oncle et une tante chez qui il a vécu pendant quatre ans et qui ont «veillé avec tant de soin sur ma santé, car j'oubliais parfois de souper, tellement j'étais intégré dans l'étude et l'action». Claire l'encourage «à aller de l'avant». Son père, «exemple magnifique d'honnête homme, profondément juste, désintéressé et dur travailleur», qui craint depuis deux ans une perte de foi de son fils, lui dit : «Tant que tu restes sur le plan chrétien, je suis avec toi». Sa mère lui fait la remarque suivante : Pourquoi ne fais-tu pas comme tout le monde, les prêtres y vont bien à l’armée !. Dès avant la messe matinale à laquelle il avait assisté avec son père, il avait embrassé sa sœur Jeannine, lui souhaitant bon travail à l'Ecole normale. Départ, à moto, avec son frère Jacques.

À la caserne Marie-Henriette, Jean Van Lierde est mis au cachot pour refus d'obéissance à un supérieur, et transféré à la prison de Liège. La presse, alertée par l'IRG, dans un premier temps se tient coite, à l'exception d'un hebdomadaire socialiste et du mensuel "Jeunesse Nouvelle". Se constitue alors un Comité d'Action pour un statut légal des objecteurs de conscience, réunissant des personnes de divers horizons politiques et philosophiques. Claire Audenaerde en assume le secrétariat. Ce comité remet au ministre de la Défense nationale une pétition demandant la mise en liberté des objecteurs de conscience et la création d'un statut légal à leur intention. C'est en son sein que s'élaborera une proposition de loi déposée l'année suivante. Le , Jean est libéré sans jugement ni mot d'explication. C'est qu'il est connu et que la presse commence à s'intéresser aux objecteurs.

Mais un an plus tard, le , il reçoit un second ordre de rejoindre l'armée, ce qui l'amène à confirmer son refus au ministre : «(...) je tiens à vous avertir une nouvelle fois, de ma non-coopération à cette course au suicide qu'entreprend le monde, de mon refus d'accomplir le service militaire. (...) Je reste intimement lié aux profondes aspirations des peuples qui luttent contre l'exploitation colonialiste et l'oppression des Etats. La course aux armements sauve une fois de plus le capitalisme, qui ne peut résoudre ses crises qu'en déclenchant la mobilisation économique, et celle-ci s'oppose irrémédiablement à la Révolution sociale.. En disant NON à l'armée, j'exprime mon internationalisme socialiste, En refusant l'uniforme, j'affirme que tous les hommes sont frères. En n'acceptant pas l'apprentissage du meurtre légal, je proteste contre la folie des Gouvernements qui massacrent des générations au nom de la liberté et du droit à la vie. (...) J'espère Monsieur le ministre, que vous comprendrez les exigences d'un pacifisme réaliste, tout à l'opposé du pacifisme verbal des Pouvoirs (...)».

Le , retour à la caserne de Namur, violences de la part des militaires, menottes pour son transport en train avec deux gendarmes vers la prison de Liège. De nombreux journaux revendiquent cette fois la libération de Jean Van Lierde et soutiennent l'objection de conscience. Le procès de Van Lierde se tient enfin le devant le Conseil de guerre de Liège. Il est alors défendu par ses amis les avocats François Dejemeppe et Antoine Braun[3]. Verdict : neuf mois de prison, trois pour outrages (!) et six pour refus d'obéissance. Avant même qu'il n'ait purgé cette seconde peine, Jean Van Lierde reçoit un nouvel ordre de rejoindre l'armée. Mais, comme l'écrit Le Peuple: « le cas Van Lierde est devenu l'affaire Van Lierde ».

Sitôt libéré, Jean est de nouveau incarcéré. Comparaissant devant le Conseil de guerre de Bruxelles, il écope de six mois de prison. Sa déclaration : Pourquoi je refuse, d'être soldat, reste un des textes essentiels de l'antimilitarisme belge (8e réédition en 1986).

Citations de « Pourquoi je refuse, d'être soldat » (1951)

L'ennemi

Chacun pense qu'il faut abattre l'ennemi. Mais quel est cet ennemi ? L'ennemi c'est le renoncement consenti de millions d'hommes à la vie autonome de l'esprit, c'est le fait inéluctable que des millions d'hommes, capables de se battre comme des héros, n'ont rien à défendre dans les sphères supérieures de la pensée et resteront aveugles devant l'agonie de la personne humaine. L'ennemi est en nous. Il est en nous depuis l'origine des espèces, il survivra au nazisme. (...)

Le capitalisme

Le crime du régime capitaliste est de pouvoir distribuer gratuitement des milliards de dollar pour anéantir nos cités et massacrer les créatures, alors qu'il se refuse à mettre les richesses de cette prodigieuse capacité de production industrielle et agricole à la disposition des pauvres, noirs, jaunes ou blancs, pour assurer leur épanouissement. L'exemple de la Corée déchiquetée (l'Europe de demain peut-être) fait comprendre aisément cette pensée. Il aurait suffi de la moitié des crédits gaspillés inutilement à la détruire, pour supprimer chez elle la misère, l'injustice sociale et «ôter ainsi au communisme ses prétextes» (Maritain). Voyez l'Europe, l’Afrique, l'Asie et ses multitudes d'affamés et concluez ! (...)

L'armée

J'oppose mon veto moral et social à la folie de l'homicide collectif (...) Et si je refuse le service militaire qui prépare (la guerre), c'est pour les mêmes raisons, considérant de plus l'armée comme une école de servilisme et d'automatisme dégradant, comme l'apprentissage du meurtre, comme un centre de prostitution intellectuelle et morale, comme un laboratoire qui anesthésie les consciences en cultivant la perte du sentiment de culpabilité chez les hommes, permettant ainsi les sanglantes hécatombes de millions d'êtres. (...)

La non-violence

L'idole atomique, les litanies au napalm incendiaire sont autant de moyens admis aujourd'hui pour tuer l'erreur et bâtir la Paix ! Seule la non-violence révolutionnaire peut empêcher le suicide collectif de l'Humanité. Vous pouvez nous traiter d'utopistes, l'utopie est le nom qu'on donne aux idées qui demain seront la réalité de la vie. (...) Les objecteurs de conscience sont des êtres communautaires, communiant avec tous les pauvres de la planète et essayant, dans les limites de leurs infirmités humaines, de valoriser la montée morale de l'humanité.
 

La mine

En 1952, devant l'ampleur des protestations, la Défense nationale va se résoudre à un compromis, Jean Van Lierde se déclare « prêt à travailler comme mineur de fond à la place du service militaire, à la condition que le gouvernement accélère le vote du statut et que sa peine soit considérée comme l'amorce d'un service civil ». Il est envoyé aux charbonnages pour trois ans (en plus de quinze mois passés en prison). Les patrons refusent de l'engager à cause de sa réputation de « forte tête », mais il sera finalement embauché au charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle. Ému par les conditions de travail déplorables dans les mines, il fait paraître des articles attaquant violemment les conditions de travail des mineurs, et en 1953, les Jeunes gardes socialistes de Bruxelles publient son réquisitoire Six mois dans l'enfer d'une mine belge. Mis à l'index de tous les charbonnages en 1952, après avoir reçu quatre préavis de licenciement, il est donc contraint au chômage avec interdiction de travailler. Il est alors le seul mineur belge chômeur !

Extraits de « Six mois dans l'enfer d'une mine belge » (1953)

Trahir le syndicat

Nous connaissons l'histoire du mouvement ouvrier, elle prouve assez que revendiquer sur le plan purement professionnel, alors que c'est la politique qui décide en définitive, c'est toujours tromper ou trahir. Aujourd'hui, on épuise nos militants par des luttes sociales prétendument progressistes, alors qu'on laisse gentiment aux réactionnaires le soin de torpiller tout le combat de la classe ouvrière en l'asservissant à des pactes, traités et accords politico-économiques régressifs et en paralysant son niveau de vie par le gaspillage infernal des armements. (...)
En m'apercevant devant les grilles du puits, le patron cria devant tous les camarades : « Vous trahissez votre syndicat, Vous êtes un faux chrétien, un dangereux révolutionnaire » Il était fort excité. Je lui répliquai vertement à la grande joie de tous.
Vint l'accalmie. Plongé au milieu des camarades rassemblés, les mains lourdes, les yeux cernés, tous fatigués par le travail, regardant les molettes, je pensais à la Révolution Sociale en marche, à la réalité de la lutte des classes, à l'immense pas qui restait à faire pour établir la justice et la fraternité. Dans le regard du patron catholique et réactionnaire qui nous faisait face, je décelais "appétit vorace du libéralisme et prétentions exorbitantes des féodaux. (...)
Parallèlement, je pensais aux visages assassinés de Jaurès et de Liebknecht, jurant au nom des masses ouvrières française et allemande, qu'elles ne se feraient pas la guerre, car l'internationalisme socialiste hissait les peuples au-delà des mobilisations criminelles et patriotiques. Je comprenais l'option de tous les « communistes » du monde de ne jamais faire la guerre à l'Union soviétique, à la Chine populaire, même s'ils dénonçaient la démocratie pachydermique et totalitaire, parce qu'ils savent dans quel sens va l’histoire et contre qui il faut lutter d'abord... la bourgeoisie, le capitalisme, le colonialisme féodal et impérialiste.

Mines paralysées

Ah les forces de l'Ordre, pour protéger la Propriété, l'Argent, les Privilèges ! « Seigneur, faite que les ouvriers restent pauvres et ignorants, car l'aisance leur ferait perdre le salut éternel ». Telle fut toujours la prière de ceux qui mirent le trône et la fricaille sur les autels. Comme quoi il reste vrai qu'à l'exemple du Christ, nous devons chasser les hideux marchands du temple. (...)

Abrutissement moral et physique

Quand je pense que des dizaines de milliers d'êtres humains sont écrasés leur vie entière par de telles conditions sous-humaines, abrutis moralement et physiquement, condamnés à vivre ensevelis, à n'avoir pratiquement aucune échappée sur les plans culturel et spirituel, alors je dis qu'une grande révolution est nécessaire et que nous ne cesserons de lutter pour la faire. (..) J'étais incapable, pendant ces mois, de prendre un livre, d'écrire régulièrement, de réserver une part de mon temps aux travaux de l'esprit. C'est la paillasse qui m'attirait, pour y dor- mir, et plus les réunions ... Je pensais avec révolte aux millions d'exploités, de sous-alimentés des colonies y compris, dont l'existence se résume à cela. Les pions hiérarchiques hurlaient : « La fosse, c'est la fosse, nom de Dieu ! Soit. Mais les hommes sont-ils des hommes ? Je suis toujours écœuré de voir dans les défilés du Premier Mai constitutionnel, comment on utilise les mineurs en costume. Comme s'ils pouvaient croire fièrement à ce règne d'un jour, alors qu'ils crèvent tout le restant de l'année. Que fait-ton pour rendre leur labeur moins bestial ? Pour que cesse l'atrophie de leurs potentialités intellectuelles, brisées par le rendement robotisant ? (...)
Chaque nuit dans ce milieu cosmopolite, je sentais cette immense espérance des multitudes enfoncées dans- la merdouille économique et marquées des stigmates de l'abrutissement social. Quels cris inhumains devraient sortir de ces chantiers souterrains pour protester contre de telles situations misérables ou l'âme suffoque, prise à la gorge par les carcans de la productivité. Quels cris devraient monter de ces tailles obscures martelées par les coups sourds, les crachements et les essoufflements humains ?

Rompre avec le capitalisme

Il est temps de rompre radicalement avec le régime capitaliste. Commençons d'abord par la nationalisation des mines et la cogestion ouvrière complète de tous les secteurs, ce qui enlèverai/ déjà au patronat une parcelle de son privilège d'étrangler légalement et sans vergogne les houilleurs. (...) Arrachons à la Défense nationale les crédits inutiles qu'elle nous gaspille, mettons les au service des travailleurs, d'une vaste politique de l'habitat, de l'urbanisme, de l'enseignement obligatoire à prolonger, de l’éducation populaire, etc. (...)
Il est donc inconcevable de voir se continuer en Belgique les stériles déchirures entre travail- leurs chrétiens et socialistes, alors que tant de misères et d'injustices scandaleuses peuvent s'abolir si nous nous donnons loyalement la main pour faire front contre la bourgeoisie d'argent et d'intelligence, contre le militarisme et ses valets, fossoyeurs de nos libertés.
Il est temps, qu'ensemble, nous trouvions ou retrouvions le sens de l 'Histoire, les uns en s'inspirant de l'Evangile, de son égalitarisme fraternel,' les autres, en se référant aux véritables bases révolutionnaires d'un socialisme militant et internationaliste.
Source : La Wallonie, 17 août 1966.
 

Le statut d'objecteur de conscience

Le , l'autorité militaire décide de le rappeler à nouveau, mais l'indignation de plusieurs parlementaires l'oblige à surseoir au rappel. Il ne sera plus inquiété, mais ce n'est qu'en 1956 que Jean Van Lierde se verra déclaré exempt de tout rappel en temps de paix.

Un projet de loi est enfin rédigé en 1955, qui aboutit au vote d'une loi en 1964. En 1974, Jean Van Lierde intervient vigoureusement contre une circulaire du ministre de l'Intérieur limitant la liberté d'expression des objecteurs. Lorsque la loi est modifiée en 1975, apportant diverses réformes positives, Jean Van Lierde souligne que cela «marque vraiment un tournant décisif pour tous les pacifistes et les organisations antimilitaristes. Il est même probable (que cette loi) engendrera la concrétisation d'un vieux projet visant à la formation régulière à la résistance civile non violente de tous les objecteurs en service, et des autres !» S'agissant de la généralisation d'une résistance civile non violente, il apparaît que le proverbe voulant que nul ne soit prophète en son pays se vérifie dans le cas de Jean Van Lierde.

Extraits de J. Van Lierde concernant la loi de 1975

Les acquis

C'est vrai que nous avons été battus dans la diminution des 24 mois pour tous (...) Par contre, nous avons obtenu du Parlement la ratification claire d'un combat difficile, à savoir que désormais tous les organismes d'entraide, de jeunesse et socioculturels qui remplissent les conditions de «personnalité civile» (asbl - association sans buts lucratifs) et de subsidiation directe ou indirecte par les pouvoirs publics seront reconnus, s'ils en font la demande (...). D'où la création en asbl de la Confédération du Service Civil de la Jeunesse (CSCJ) avec le SCL, le MCP, le BDJ, le MIR et l'IRG, car nous pensons en effet que le législateur, cette fois, a donné les orientations que le pouvoir Exécutif pourra traduire en un nouveau courant institutionnel qui touche, et touchera demain, des centaines d'objecteurs des deux rôles linguistiques, chaque année. Corollairement, il devient capital que les mouvements non violents décuplent leur coordination, accroissent leurs moyens pédagogiques, de formation et de publication.

Le changement social

Qu'ils se préoccupent aussi de «synthétiser» cette immense mosaïque d'organismes caritatifs et autres, employeurs d'objecteurs, afin de faire converger vers des alternatives sociétaires et collectives, ce qui pouvait apparaître jusqu'ici comme la solution de cas individuels.

La stratégie antimilitariste

Nous récusons la guerre, la défense militaire et les armes, mais notre option n'est pas la passivité, Nous voulons forger des moyens de lutte active non violente, pour initier tous les citoyens à combattre l'oppression, l'injustice ou l'hypothétique occupation par et avec des techniques, des stratégies et des moyens non homicides, Cela implique qu'on sorte de la marginalité sacralisée par certains, pour concevoir les biais à la fois structurels et méthodologiques, par lesquels nous ferons progressivement basculer le rapport des forces, Il n'est pas rentable de pousser l'antimilitarisme dans l'oasis de la rupture totale avec la société. Nous visons au contraire à investir dans les vastes courants populaires et démocratiques qui déjà dessinent et captent les espérances des pauvres et des démunis, Ces courants sont politiques, syndicaux, religieux, culturels et mobilisent des masses vers plus de justice, mais hélas en s'engluant souvent dans ce qui nie leurs finalités, à savoir que faute de voir clairement nos alternatives, ils continuent à cautionner la D.N., les crédits militaires et l'armée, croyant ainsi protéger ce pour quoi ils combattent. Pour que notre crédibilité révolutionnaire recouvre une chance quelconque de renverser cet ordre de préséances civiques, il va de soi que nos réalisations doivent illustrer nos discours, et que si la non-violence en nos sociétés fut jusqu'ici presque toujours contestataire et groupusculaire, le pari du présent est de lui adjoindre sa capacité gestionnaire, communautaire et collective. (...).

Une lutte mondiale

Nous devons avoir le souci fondamental aujourd'hui de coordonner les engagements, apparemment épars, de milliers d'objecteurs belges, dont 700 en Service civil, et dy ajouter la dimension transnationale indispensable au sein d'associations comme la WRI et l'IFOR, La résistance à la guerre garde une dimension planétaire et aucun non-violent ne doit se sentir isolé dans cette lutte gigantesque que nous menons contre la barbarie militaire de la course au suicide nucléaire.
 

Les décolonisations

Jean Van Lierde crée en 1958 les « Amis de Présence Africaine ». Avec d'autres, il élabore une stratégie non-violente pour parvenir à l'indépendance du Congo. En 1959, lorsque le gouvernement belge veut envoyer la troupe au Congo, il participe à la mobilisation : « Pas un franc, pas un homme pour une guerre coloniale ». Le gouvernement belge recule en moins de quinze jours. Il était ami et conseiller de Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, assassiné en 1961. Il encouragea d'ailleurs Lumumba à prononcer son fameux discours anticolonialiste de la cérémonie d'indépendance du Congo, réponse au discours jugé paternaliste du roi Baudouin Ier, texte qui valut sa réputation sulfureuse au ministre. Van Lierde témoigna, en , devant la Commission d'enquête de la Chambre des Représentants de Belgique chargée de déterminer les circonstances exactes et l'implication des hommes politiques belges de l'époque dans l'assassinat de P. Lumumba.

Pendant la guerre d'Algérie, il affirme dans la revue "Route de paix - Coexistence" sa solidarité avec le peuple algérien, mais aussi son désaccord quant aux moyens violents que certains préconisent. Il est actif dans un réseau d'aide au FLN et aux réfractaires français.

Il participe aux réseaux d’accueil de déserteurs américains durant la guerre du Viêt Nam.

Extraits de J. Van Lierde concernant la décolonisation (1985)

Préparer l'indépendance du Congo belge

À l'heure de la décolonisation, la Belgique est un petit pays qui possède une colonie de 80 fois sa superficie. Il y avait 100 000 Européens dans ce Congo peuplé de 15 millions de Noirs. En 1955, l'un de mes amis professeurs d'université trace un plan de 30 ans pour l'indépendance du Congo. Il est considéré comme un farfelu, mais le mouvement est amorcé. Il n'y a pas d'enseignement supérieur pour les Noirs, mais les Églises protestantes et catholiques ont de grands séminaires qui permettent de former beaucoup de gens. Puis les premiers étudiants congolais viennent à Bruxelles.
En 1958, je crée les "Amis de Présence Africaine" en accord avec la revue "Présence Africaine" de Paris et ses dirigeants-écrivains africains. Dans une revue qui s'appelait "Route de Paix - Coexistence", nous exprimions nos positions pacifistes et internationalistes. Par "Présence Africaine", les contacts sont établis avec ces premiers universitaires congolais. Avec une petite équipe, nous mettons au point un programme. C'est un choix crucial, car il faut marcher vers l'indépendance. Ou bien on fait comme les Mau-Mau du Kenya, qui coupèrent les têtes ou fusillèrent les colons, ou comme en Algérie en développant un courant terroriste, ou nous imaginons une grande stratégie d'actions non-violentes pour faire aboutir le Congo à l'indépendance. Ce fut donc un choix délibéré.

Lutter contre la violence

Je m'engageais vis-à-vis de mes camarades congolais avec la gauche belge : je fais le maximum pour qu'il n'y ait ni guerre coloniale, ni répression sanglante contre les militants politiques noirs, mais vous, les leaders des organisations congolaises, vous mettez en route une stratégie de boycott du pouvoir colonial sans jamais attenter à la vie des Blancs.
Dans les revues militaires, j'étais attentif aux instructions que l'on donnait aux gens qui devaient organiser les répressions. Immédiatement, j'avertissais mes camarades congolais pour envisager avec eux les manières de combattre ces stratégies. Cela posait des problèmes aux coloniaux, qui se demandaient pourquoi, dans le Bas-Congo, les Noirs ne paient pas leurs impôts, ne remettent plus leur carte d'identité et en fabriquent eux-mêmes. Et pourquoi, quand il y a des bagarres, ils ne se présentent plus devant les tribunaux coloniaux: ils règlent leurs différends selon la justice coutumière, entre eux.

Diplomatie et violence

En décembre 1958 a lieu la première grande conférence pan-africaine d'Accra, initiée par N'Kruma. Jamais un Congolais n'avait participé à une conférence internationale. En accord avec nos amis congolais, nous finissons par obtenir les visas nécessaires pour permettre à trois de nos amis, dont Patrice Lumumba, d'y assister.
Mais le 4 janvier 1959 ont lieu les premières émeutes dans la capitale congolaise : les meetings de l'Abako (de Joseph Kasavubu) avaient été interdits, il Y eut des bagarres et plusieurs dizaines de Noirs sont tués. C'est un premier déclic. Même le roi des Belges croit bon d'intervenir, et le 13 janvier 1959, il évoque pour la première fois, dans un discours, l'indépendance du Congo. L'année 1959 est aussi une année décisive. La Constitution belge prévoit qu'on ne peut envoyer que des volontaires dans les colonies. Dès que le gouvernement prend la décision de modifier l'article en cause en vue d'envoyer le contingent au Congo; nous mobilisons toute la gauche belge, le mouvement ouvrier et une grande partie des églises. Des affiches sont placardées partout, dans les usines, dans les églises et dans les universités : pas un franc, pas un homme pour une guerre coloniale. Nous avons réussi à bloquer toute décision en moins de quinze jours. Le gouvernement a dû capituler.
Ce fut vraiment une lutte non violente. Jusqu'au 30 juin 1960, aucun européen ne sera assassiné sur le territoire du Congo. Il faut dire aussi qu’à cette date, il n’y avait que quinze universitaires pour quinze millions d’habitants. Un par million ! Les Belges n’ont rien fait pour préparer l’indépendance du Congo, ni pour aider les Congolais à se gérer eux-mêmes.

Le jour de l'indépendance

Un soir, juste avant le 30 juin, arrivant au bureau de Patrice Lumumba, où je travaillais tous les jours les textes des discours du roi Baudoin et de Joseph Kasavubu, le président de la République annonçant l'indépendance du Congo, je les trouve tellement stupides et paternalistes que je suis révolté. Je dis à Patrice Lumumba qu'il ne peut laisser ces deux discours sans réagir. Il me répond que le protocole ne permet pas qu'il prenne la parole, et qu'elle est réservée aux deux chefs d'État. Je lui dis : « Le micro sera à deux mètres de toi, personne n'osera marcher sur tes pieds. Sitôt que les deux orateurs auront fini, tu t'en empares».
Le jour de l'indépendance arrivé, cette action eut un impact terrible. Or, le discours non prévu de Patrice Lumumba fut digne, digne d'un Noir accédant à l'indépendance et qui voulait montrer aux Blancs que cette indépendance n'était pas une concession, mais le fruit d'une lutte, d'un long combat culturel, idéologique, politique et social.
En juillet 1960 éclatent les premiers troubles, suscités ni par des militants politiques, ni par des Européens, mais bien par des soldats congolais à qui l'on avait appris l'usage de la violence pour combattre leurs frères. La République du Congo n'est pas encore remise de ces événements. Et puis en 1964, ce fut une révolte des populations dans les deux tiers des territoires congolais. Elles trouvaient que l'indépendance n'avait pas réalisé leurs espérances. Cette rébellion armée dans le Kwilu et dans l'est du Congo fut une tragédie. Il y eut des dizaines de milliers de gens massacrés inutilement… Mehdi Ben Barka (assassiné à Paris par la police impérialiste marocaine et française en 1965), qui préparait à ce moment la conférence Tricontinentale de La Havane et que je voyais régulièrement, avait des contacts avec la rébellion. Lui qui n'était pas non violent me disait : « Faites tout ce que vous pouvez pour stopper cette insurrection, car elle va tuer la révolution.»

L'Algérie

II y a une différence énorme entre l'accession à l'indépendance du Congo, par des voies non-violentes, et la lutte des Algériens pour l'indépendance de l'Algérie. La guerre d'Algérie fut d’une violence terrible, des deux côtés on tuait, on massacrait, on égorgeait. C'est peut-être la manifestation des 200 000 femmes défilant dans les rues, les mains en l'air en criant le you-you qui a fait comprendre à de Gaulle que ses milliers de parachutistes ne viendraient jamais à bout, par la violence et les arrestations, de la puissance culturelle et spirituelle du peuple algérien.
Cet exemple indique ce que doit faire un objecteur de conscience ou un non-violent. Lui qui ne veut pas de recours aux armes, il doit rester fidèle à lui-même quelle que soit la situation révolutionnaire, historique ou collective, car il y a des révolutions qui tuent l'humanisme et les libertés, en croyant donner le pouvoir au peuple. Pendant la guerre d'Algérie, notre action, avec la revue "Route de paix - Coexistence", était d'affirmer notre solidarité avec le peuple algérien dans sa lutte politique et culturelle, pour son indépendance, mais aussi notre désaccord quant aux moyens violents que certains préconisaient dans le FLN. C'est difficile, mais il faut rester sur ce terrain. J'ai participé à cette lutte comme journaliste aussi et ce n'est pas un hasard si notre revue a été interdite quatre fois en France durant cette période, à cause de nos positions.

La non-violence

Il y a des puristes parmi les non-violents. Ils ne s'occupent pas de politique, ils ne veulent pas être révolutionnaires, et alors ils se contentent de méditer et de prier. Ils enferment la non-violence dans le spirituel ou le religieux, et ils ne prennent pas ce que je considère comme capital dans l'engagement d'un militant, c'est-à-dire des responsabilités sociales et politiques.

Patrice Lumumba

Quand on a assassiné Patrice Lumumba, en 1961, ce fut l'anéantissement d'un immense espoir pour l'ensemble du monde afro-asiatique. Il avait pris une telle place dans l'espérance des multitudes et des opprimés que sa disparition a provoqué une douleur incroyable non seulement à tout l'univers des colonisés, mais aussi à tout ce monde qui recherche plus de justice et d'espérance. On l'a tué parce qu'il était vingt ans en avance sur son temps, avec sa manière de travailler et de se sentir un panafricain. Le panafricanisme est une banalité aujourd'hui, mais en 1959, être antitribaliste, supraethnique et internationaliste était incompréhensible pour des millions de Noirs. Et aujourd'hui, en 1985, mon pauvre Zaïre souffre encore de tribalisme, Il y a encore trop de méfiance entre les ethnies et les tribus, et si Mobutu est ce qu'il est maintenant, dictateur de la République du Zaïre, la raison en est cette méfiance entre opposants, ainsi que cette cruelle absence d'alternative politique.
Rédigé en 1985.
 
Anecdote concernant l'aide aux réfractaires français pendant la guerre d'Algérie (1991)
Mais la solidarité c'est aussi le risque (...). Et j'en reviens à Joyce Blau que Robert Barrat m'avait envoyée et qui collaborait activement avec Henri Curiel qui avait pris le relais de Francis Jeanson après les arrestations du Réseau. (...) Il faut lire Un Homme à part de Gilles Perrault pour comprendre ce personnage d'Henri Curiel qui sera assassiné beaucoup plus tard, à Paris le 4 mai 1978... Un jour, il avait encore besoin d'une carte d'identité « d'un officier belge, grand et maigre, âgé et distingué ».
Joyce m'annonce que la voiture de l'officier attendait dans le coin... Pas banal ce choix... Et soudain je pense à un ami cher de ma femme et moi, ancien prisonnier de guerre en Allemagne, lecteur passionné de l'Express, l'Observateur, Le Monde (et Routes de Paix...) Il s'appelait le Colonel Julien Roskam, ex-professeur à l'Ecole royale militaire et habitait notre quartier avec un autre officier ami, le commandant Albert Magis. Je risque la visite d'urgence, le soir. J'explique. Il éclate de rire, comme souvent dans nos débats. Il sait que c'est pour un militant anticolonialiste communiste menacé en France. « Ah, Jean, c'est gai de travailler avec vous, c'est autre chose que les lectures et les discussions. Voici ma carte d'identité » ! Ainsi cet officier supérieur, grand disciple du philosophe Alain ("Mars ou la guerre jugée", etc.) avec simplicité prenait des risques. (...)
Extraits d’un exposé de Jean Van Lierde en 1991.
 

Le mouvement de paix

Jean Van Lierde est délégué de l'IRG au congrès du Conseil mondial de la paix à Vienne en 1952. Il s'oppose à Frédéric Joliot-Curie et obtient de s'exprimer librement. Il mentionne en particulier un décret de Lénine de 1919 reconnaissant l'objection de conscience. Il se rend encore au congrès de 1973 qui a lieu à Moscou, non sans difficultés. Son visa lui est d'abord refusé et il ne l'obtient que grâce à la solidarité d'autres délégués qui refusent tout simplement de prendre leur avion si Jean Van Lierde n'en est pas. Il obtiendra que l'objection de conscience soit mentionnée dans la résolution finale, sous l'expression de « droit au refus de tuer » imaginée par Seán MacBride[4].

Les triennales de la WRI sont des rendez-vous importants. Jean Van Lierde est à Rome en 1966, participant avec Joan Baez aux actions contre la guerre du Viêt Nam. Puis il rencontre Daniel Ellsberg en Pennsylvanie en 1969.

En 1991, Jean Van Lierde est encore président du Bureau Européen de l'Objection de Conscience (BEOC). Il s'émeut pour les centaines de jeunes objecteurs Serbes et Croates, Grecs ou Palestiniens.

Jean Van Lierde fut l’un des fondateurs du "Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP)" en 1959, et son secrétaire général durant 25 ans.

Le devoir de mémoire

Déjà en 1990, les Cahiers de la Réconciliation publient un portrait de Jean Van Lierde[5]. Un entretien paraît dans la revue Alternatives non-violentes en 2000[6].

En 1994 paraissent les « Carnets de prison », en 1998 « Un insoumis ». Puis un autre livre paraît en 2002, qui se concentre sur les années 1952-1964 : « La guerre sans armes : Douze années de luttes non-violentes en Europe ».

Un film intitulé « L'objecteur : Portrait de Jean Van Lierde » est tourné en 1998 par Hugues Le Paige pour la RTBF.

Jean Van Lierde a conservé de nombreuses archives. Par exemple 189 lettres de Jean Goss de la période 1952-1964[7].

Selon un inventaire de 2000[8], ses livres, revues, journaux et documents sont déposés dans les centres suivants : ARCA (Archives du monde catholique, Louvain-la-Neuve), AMSAB (Archives et musée du mouvement ouvrier socialiste), Bibliothèque de Théologie (?), CARHOP (Centre d'Animation et de Recherche en Histoire Ouvrière et Populaire), IEV (Institut Emile Vandervelde), CEGES-SOMA (Centre d'études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines), EAK (Enquête naar de Arbeidskrachten), CGD (Centre général de documentation), IEE, Mundaneum (Centre d’Archives de la Communauté française de Belgique), KADOC (Documentatie- en Onderzoekscentrum voor Religie, Cultuur en Samenleving), CGRI (Commissariat général aux relations internationales).

À l'occasion du 75e anniversaire de l'Internationale des résistant(e)s à la guerre, en 1996, Jean Van Lierde (70 ans) fait un discours où il retrace quelques souvenirs de cinquante ans d'activités antimilitaristes.

Extraits de « Cinquante ans dans la WRI » (1996)

Discours devant le Conseil mondial de la paix (CMP) à son Congrès de Vienne

En décembre 1952, le Conseil mondial de la paix, c'est-à-dire les communistes staliniens de l'époque, organise à Vienne son Congrès. La section belge de la WRI m'y envoie comme délégué. Deux mille personnes sont présentes dans le Konzerthaus de Vienne et je compte intervenir sur les guerres coloniales (Indochine) et sur les procès politiques de l'Est, mais aussi demander aux Soviétiques présents: « Remettez en vigueur le statut des objecteurs de conscience, adopté par Lénine le 4 janvier 1919!» Quand Joliot-Curie, le grand savant français, président du CMP avec Fadeev et Ilya Erenbourg apprend cela, il m'appelle dans son bureau pour me dire : «Van Lierde, vous n'aurez pas la parole, vous ne parlerez pas de cela devant les délégués du monde entier». Je lui réponds : « Monsieur Joliot-Curie, vous êtes le président, vous êtes un grand savant, et moi je suis le délégué d'une petite Internationale. Mais jusqu'ici personne n'a encore pu me faire taire, et ce ne sera pas vous qui commencerez. Alors je vous préviens... ou bien j'ai la parole à la Grande Salle et je parle de l'objection de conscience, des guerres coloniales et de tous ces problèmes, y compris des procès de l'Est où vos amis ont assassiné une série de copains; ou bien vous m'interdisez de parler et je donne une conférence parallèle où j'invite toute la presse en disant que tout ce congrès n'est que du cinéma et que vous êtes des menteurs». Mes amis, j'ai dit cela à Joliot-Curie qui n'était pas le concierge de la boutique du coin ! Pour avoir un témoin de cette discussion j'avais à mes côtés un ami, professeur à Liège, André Zumkir. Ils m'ont finalement donné la parole et dans cette immense salle de congrès, j'ai vu les Afro-Asiatiques applaudir debout et tous les staliniens devenir enragés [9]!

Le décret de Lénine

Pour les communistes de l'époque, le décret de Lénine reconnaissant l'objection de conscience était une invention de Van Lierde. Et pour cause, ils ne l'avaient jamais vu ! Pour les idéologues orthodoxes, jamais un grand révolutionnaire comme Lénine n'aurait perdu son temps à édicter pareil décret ! Mes amis, pour la première fois, je vais révéler ici de bons souvenirs. Le dernier secrétaire de Tolstoï était Valentin Boulgakov, décédé en septembre 1966 ; il résidait à Iasnaïa Poliana, l'ancienne propriété de Léon Tolstoï qui était devenue musée et conservait toute sa bibliothèque et ses archives. Puisque les Staliniens ne voulaient pas me croire, j'ai demandé à mon ami Jean Goss de faire quelque chose que Gandhi n'aurait pas approuvé... mais je ne suis pas gandhiste en tout ! J'ai donc demandé à Jean Goss qui partait en mission en URSS d'aller supplier Boulgakov de rechercher le texte original du décret à travers tous ces volumes reliés : « Pour la paix, pour la vérité, veux-tu bien prendre la page qui contient le statut de Lénine et le décret des commissaires du Peuple, pour que j'aie enfin le document original et que les communistes ne puissent plus dire que j'invente cette histoire ? ». Et Jean Goss est allé chez Bulgakov, a arraché la page car il était impossible d'en faire copie sur place et il me l'a ramenée cachée dans une de ses chaussettes ! Je l'ai toujours chez moi à la maison. C'est une page imprimée sur du papier bible très léger de couleur rose, comme on en utilisait après la Révolution d'octobre. Ce document a ensuite été traduit en français, en anglais, en allemand; nous l'avons reproduit à des dizaines de milliers d'exemplaires que j'ai fait diffuser partout afin de montrer qu'il avait bien existé. Je vous révèle ce petit secret qui est une des formes d'action directe non-violente (…).

Au congrès de Moscou du Conseil mondial de la paix

Plus tard, en 1973, est venu le congrès de Moscou. Je fais à nouveau mettre ce texte de Lénine au programme du congrès du Conseil mondial de la paix. Puis je m'arrange avec les copains des sections du Nord de la WRI (ceux que nous appelions les Vikings !) et, après leur avoir envoyé une série de copies, je leur demande, moi-même étant assez mal vu, de diffuser ce texte sur la place Rouge à Moscou. Or, en 1973, il s'est passé vingt ans depuis le grand congrès de Vienne. Le Congrès mondial de la paix est dirigé par Romesh Chandra, un épouvantable stalinien indien et, quatre jours avant le départ de la délégation belge pour Moscou, Isabelle Blume me téléphone à la maison. C'est une grande dame socialiste, une grande femme politique, une grande internationaliste : «Jean, viens me voir très vite, les nouvelles ne sont pas bonnes, je ne peux pas t'en dire plus au téléphone. » Je plonge dans ma voiture, je me rends rue de la Régence n° 33 à Bruxelles, pas loin du Palais de Justice, et je trouve mon amie Isabelle Blume les larmes aux yeux : «Jean, c'est incroyable. Mais tu ne viendras pas à Moscou avec la délégation belge. Tu es interdit de séjour par le KGB et le gouvernement soviétique. » Je lui dis : « Pour la première fois que je voulais mettre les pieds dans la patrie des prolétaires, voilà, c'est foutu Je ne pourrai pas rejoindre Moscou » Elle ajoute : « Ils sont fous, tu te rends compte, je suis déjà très âgée, je suis à la fin de ma carrière, comment peuvent-ils me faire cela? Il y aura une délégation de quarante Belges représentant toutes les orientations politiques du pays ! » Je demande : « Pourquoi ne veulent-ils pas que j'y aille? » «Il paraît que tu vas faire une grève de la faim dans les salles du Kremlin et que tu vas porter atteinte au Mausolée de Lénine ! » Je lui réponds que les gars du KGB sont fous. Elle partait le lendemain.
Trois jours après, au moment du départ de la délégation belge, je me présente à Zaventem, notre aéroport national. Je viens pour y saluer les copains, les camarades qui vont à Moscou défendre la liberté. Ils sont tous là avec l'Ambassadeur de l'Union soviétique. Je leur déclare : « Je viens vous dire au revoir et vous souhaiter bon voyage ... » « Comment, au revoir? » me dit Victor Michel, alors président du Mouvement Ouvrier Chrétien. « Eh oui, Victor, toi tu peux partir, mais moi, non. L'Ambassadeur qui est là ne m'a pas donné mon visa, à Moscou ils ne veulent pas d'objecteurs... » Il s'adresse alors à l’Ambassadeur : « C'est vrai? Vous n'avez pas de visa pour Jean ? » « Non, répond-il, mais je vais arranger cela... » Alors Victor Michel explose : « Écoutez-moi, monsieur l'ambassadeur. Je suis le président belge du MOC, nous avons plus d'un million de membres. Pour moi, aller à Moscou sans mon ami Jean, qui a été trois fois en prison, qui a été au charbonnage pour ses idées pacifistes, c'est impossible ! Rendez-moi mes valises !»
« Mais vous n’allez pas faire cela... » dit l'ambassadeur. « Si, c'est fini, si Jean ne vient pas, je ne pars pas non plus ! » Et le président du MOC, puis Jules Pollé, le président de Solidarité Mondiale, et aussi René Marchandise, le président du Mouvement Chrétien pour la Paix, ont tous décidé de ne pas partir et repris leurs valises.
Le soir même, il devait être minuit, l'Ambassadeur d'URSS me téléphone chez moi: « Vous pouvez partir avec vos amis. Venez chercher votre visa demain. » Et c'est comme cela que je suis finalement parti pour Moscou. Tout cela est toujours en rapport avec le statut de Lénine de 1919, car ensuite il a encore fallu que je me batte en plein congrès devant plusieurs milliers de délégués. C'est finalement Seán MacBride, cet Irlandais qui avait eu le Prix Nobel de la paix et le prix Lénine, qui m'a dit : « Van Lierde, ce sera difficile, mais j'arriverai à trouver une solution !» Et donc, pour ne pas parler de l'objection de conscience dans la résolution finale, on n'a inscrit que le « droit au refus de tuer ». Ce sont ces termes qui se retrouvent dans la résolution votée par toutes les délégations. La conséquence qu'aurait dû produire le congrès de Moscou, c'est que tous les États progressistes auraient dû admettre le « refus de tuer ». C'est la seule « victoire » que nous ayons pu obtenir là-bas.

Contre la guerre du Viêt Nam

En 1966, à Rome, nous avons lancé une campagne de paix avec la chanteuse Joan Baez qui avait ouvert notre Congrès. C'était la guerre du Viêt Nam et nous avons édité 150 000 tracts invitant les soldats américains à déserter, puis nous les avons distribués dans toutes les bases américaines dans le monde, dans les gares, etc. La résistance à la guerre du Viêt Nam est une conséquence de cette XIIe Triennale de 1966 à Rome, en Italie.
En 1969 nous nous retrouvons aux États-Unis, à Haverford College en Pennsylvanie, pour la XIIIe Triennale. C'est là que Daniel Ellsberg nous a présenté des documents « top secret» et que nous l'avons engagé à les publier. Ce fut le livre Les Dossiers secrets du Pentagone[10], qui eut un tel retentissement qu'il fit trembler la présidence !
Discours prononcé par Jean Van Lierde à l'occasion des 75 ans de la War Resisters International - Internationale des Résistants à la guerre (WRI), Liège, le 24 juillet 1996.
 

Une Bibliothèque Jean Van Lierde est installée à la Maison de la Paix de Bruxelles[11]

Publications

  • Jean Van Lierde, Pourquoi je refuse d'être soldat : déclaration faite devant le Conseil de guerre de Bruxelles le 3 octobre 1951, Bruxelles, IRG, 1951? (réimpr. 1956 4e éd., 1971 7e éd., 1986 8e éd.), 8 p.
  • Jean van Lierde, Je ne tuerai pas, au Château Drese, réunion le 30 octobre 1957
    Jean van Lierde, Je ne tuerai pas, Château Drese, réunion
  • Jean Van Lierde; éd. Emile van Ceulen, 6 mois dans l'enfer d'une mine belge, Bruxelles, Service d'édition de la fédération bruxelloise de J.G.S., (réimpr. 1956 3e éd.), 23 p.
  • Jean Van Lierde [édit.], La pensée politique de Patrice Lumumba, textes et documents recueillis et présentés par Jean Van Lierde, Paris-Bruxelles, Ed. Présence africaine, 1963, préface de J.-P. Sartre.
  • (en) Jean Van Lierde [édit.], Lumumba Speaks. The Speeches and Writings of Patrice Lumumba, 1958-1961, Boston, Little Brown and Company, 1972, traduit par Helen R. Lane.
  • Jean van Lierde, Jean van Lierde : 35 ans d'objections : en marge du 20e anniversaire du statut, Charleroi, Luttes antimilitaristes, , 39 p.
  • Patrice Lumumba. La dimension d'un tribun nonviolent, Bruxelles, MIR-IRG, 1988.
  • Jean van Lierde, Carnets de prison, Bruxelles, Vie Ouvrière ; Mouvement international de la réconciliation ; Confédération du service civil de la jeunesse, , 262 p. (ISBN 2-87003-286-2)
    Présenté par Alain Faniel dans les "Cahiers de la Réconciliation", no 4, 1994, p. 2-4.
  • Jean Van Lierde, Cinquante ans dans la WRI : Discours prononcé par Jean Van Lierde à l'occasion des 75 ans de la War Resisters' International - Internationale des Résistants à la Guerre, Conseil de la [WRI], Liège, le 24 juillet 1996, Bruxelles, MIR-IRG, , 22 p.
  • Jean Van Lierde ; avec la collaboration de Xavier Zeebroek et Pierre Arcq, Un insoumis, Bruxelles, Ed. Labor, coll. « La Noria », , 208 p. (ISBN 2-8040-1314-6)
  • Guy de Bosschère & Jean Van Lierde, La guerre sans armes : Douze années de luttes non-violentes en Europe (1952-1964), Bruxelles ; Paris, Luc Pire ; Karthala, , 117 p. (ISBN 2-87415-138-6)
    Ce livre éclaire le travail idéologique entrepris par les « Groupes Esprit » de Belgique et raconte l'implication des militants chrétiens et socialistes belges dans les conflits coloniaux du Congo et de l'Algérie. Décrit le parcours de la revue internationale « Route de Paix - Coexistence ».

Bibliographie

  • Guillaume Gamblin, « Jean Van Lierde, témoin de courage et d'humanité », Alternatives non-violentes, no 142,‎ , p. 70-72 (ISSN 0223-5498) — Suivi d'une « Lettre de Jean-Marie Muller à son ami Jean ».
  • Jacques Le Jeune, Je ne tuerai pas : plaidoyer d'un objecteur de conscience, Bruxelles, La Réconciliation, , 362 p.

Notes et références

  1. Xavier Bekaert, Le Milieu libertaire, entretien avec Jean Van Lierde, MIR-IRG, 2013, lire en ligne.
  2. Fonds Jan Pellering : notice biographique.
  3. Antoine Braun. Objecteur de conscience en 1950. La Libre Belgique du 03 août 2005; (consulté en ligne)
  4. Seán MacBride avait déjà publié une petite brochure intitulée "The right to refuse to kill: a new guide to conscientious objection and service refusal" en 1971 (Geneva, International Peace Bureau, 35 p.). Version française publiée en 1980.
  5. Dominique Vallet, « Jean Van Lierde : 1926- », in : Cahiers de la Réconciliation, no 1 (« Portrait de famille »), 1990, p. 30-32.
  6. « Jean Van Lierde, un réfractaire : Entretien avec Xavier Bekaert », in : Alternatives non-violentes, n° 117, Hiver-printemps 2000-2001, p. 59-64
  7. Jean-Louis Jadoulle, Colloque Jean Goss : Paris 30 octobre 1993 : Note relative aux lettres de Jean Goss conservées dans les papiers de Jean Van Lierde, Charleroi, MIR-IRG, , 38 p..
  8. Ed. Paix sur la Terre ASBL, Bruxelles, version 2.5, nov. 2000, 24 p.
  9. Les Annales de ce congrès ont été publiées (Paris, 1953) avec tous les textes des intervenants sauf celui de Jean Van Lierde considéré comme atteinte à la sécurité des États, tel que signalé en page 640 de ce volume de 1087 pages.
  10. Daniel Ellsberg, "Secrets: A Memoir of Vietnam and the Pentagon Papers", New York, Viking, 2002. (ISBN 0-670-03030-9).
  11. Bibliothèque Jean Van Lierde, 35 rue Van Elewyck à 1050 Ixelles (Belgique), site officiel.

Voir aussi

Articles connexes

Il existe une catégorie consacrée à ce sujet : Anarchiste chrétien.

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  • Lumumba et Van Lierde, article de Pauline Beugnies dans "Focus".
  • Un humaniste meurt, 16 déc 2006, RTBF.
  • (en) Jean Van Lierde 1926-2006 nécrologie signée Gerd Greune, président du BEOC, sur le site de la WRI.
  • Bibliographie concernant « Jean Van Lierde » (auteur) dans le catalogue du Centre pour l'action non violente
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