Points de Brocard

Le premier point de Brocard, vu comme intersection de trois cercles.

En géométrie, les points de Brocard sont deux points remarquables associés à un triangle, images l'un de l'autre par changement d'orientation du plan. Ils forment la première « paire bicentrique » P(1) dans l'encyclopédie de Klimberling[1].

Historique

Le problème a été posé en 1875 par Henri Brocard comme question dans les Nouvelles Annales de mathématiques[2], et résolu la même année par C. Chadu[3], puis étudié plus longuement par Brocard en 1877[4]. L'appellation "points de Brocard" a été proposée par Joseph Neuberg en 1881[5]. Cependant, la formule de l'angle de Brocard avait déjà été trouvée par August Leopold Crelle en 1816[6],[7],[8], et Charles Jacobi avait poursuivi l'étude en 1825 [9].

Définition

Points de Brocard

Le premier point de Brocard d'un triangle ABC est le point P tel que les angles P A B ^ , {\displaystyle {\widehat {PAB}},} P B C ^ {\displaystyle {\widehat {PBC}}} et P C A ^ {\displaystyle {\widehat {PCA}}} orientés positivement soient égaux.

Le second point de Brocard du triangle est le point P' tel que les angles P B A ^ , {\displaystyle {\widehat {P'BA}},} P C B ^ {\displaystyle {\widehat {P'CB}}} et P A C ^ {\displaystyle {\widehat {P'AC}}} orientés positivement soient égaux.

L'existence de ces deux points est une conséquence de la version trigonométrique du théorème de Ceva.

Angle de Brocard

Les angles P A B ^ , {\displaystyle {\widehat {PAB}},} P B C ^ , {\displaystyle {\widehat {PBC}},} P C A ^ , {\displaystyle {\widehat {PCA}},} P B A ^ , {\displaystyle {\widehat {P'BA}},} P C B ^ {\displaystyle {\widehat {P'CB}}} et P A C ^ {\displaystyle {\widehat {P'AC}}} sont tous égaux à l'angle de Brocard du triangle, noté ω {\displaystyle \omega } , pouvant être calculé à partir d'une des formules :

  • cot ω = cot A ^ + cot B ^ + cot C ^ , {\displaystyle \cot \omega =\cot {\widehat {A}}+\cot {\widehat {B}}+\cot {\widehat {C}},}
  • tan ω = 4 S a 2 + b 2 + c 2 , {\displaystyle \tan \omega ={\frac {4\;S}{a^{2}+b^{2}+c^{2}}},}
  • sin ω = 2 S b 2 c 2 + a 2 c 2 + a 2 b 2 , {\displaystyle \sin \omega ={\frac {2S}{\sqrt {b^{2}c^{2}+a^{2}c^{2}+a^{2}b^{2}}}},}
  • 1 / sin 2 ω = 1 / sin 2 A ^ + 1 / sin 2 B ^ + 1 / sin 2 C ^ {\displaystyle 1/\sin ^{2}\omega =1/\sin ^{2}{\widehat {A}}+1/\sin ^{2}{\widehat {B}}+1/\sin ^{2}{\widehat {C}}} [10].

S désigne l'aire du triangle, a, b, c les longueurs de ses côtés, A ^ , B ^ , C ^ {\displaystyle {\widehat {A}},{\widehat {B}},{\widehat {C}}} ses angles en A, B, C .

Droites de Brocard

On appelle droite de Brocard l'une quelconque des six droites joignant un sommet du triangle à l'un des points de Brocard[11].

Elles ne sont pas à confondre avec l'axe de Brocard, qui est la droite reliant le centre du cercle circonscrit au triangle à son point de Lemoine[12].

Coordonnées des points de Brocard

Les coordonnées barycentriques du premier et du deuxième point de Brocard sont respectivement : ( 1 b 2 , 1 c 2 , 1 a 2 ) {\displaystyle \left({\frac {1}{b^{2}}},{\frac {1}{c^{2}}},{\frac {1}{a^{2}}}\right)} et ( 1 c 2 , 1 a 2 , 1 b 2 ) {\displaystyle \left({\frac {1}{c^{2}}},{\frac {1}{a^{2}}},{\frac {1}{b^{2}}}\right)} .

Leurs coordonnées trilinéaires sont respectivement : ( c b : a c : b a ) {\displaystyle \left({\frac {c}{b}}:{\frac {a}{c}}:{\frac {b}{a}}\right)} et ( b c : c a : a b ) {\displaystyle \left({\frac {b}{c}}:{\frac {c}{a}}:{\frac {a}{b}}\right)} .

Le milieu des deux points, référencé X(39) dans l'encyclopédie de Kimberling, a pour coordonnées barycentriques : ( a 2 ( b 2 + c 2 ) , b 2 ( c 2 + a 2 ) , c 2 ( a 2 + b 2 ) ) {\displaystyle \left(a^{2}(b^{2}+c^{2}),b^{2}(c^{2}+a^{2}),c^{2}(a^{2}+b^{2})\right)} . Ce point milieu a quelques propriétés remarquables : il est sur l'axe de Brocard et est le centre de plusieurs cercles remarquables du triangle, comme ses cercles de Gallatly, de demi-Moses et de Moses[13].

Constructions

Par des droites isoclines

Les triangles ABC et A(t)B(t)C(t) sont semblables.
Animation de la transformation du triangle A(t)B(t)C(t) pour t variant de 0 à ω.

En considérant que le triangle ABC est dans le sens direct, les trois droites isoclines issues respectivement de A, B, C faisant un même angle t avec les droites (AB),(BC),(CA) découpent un triangle A(t)B(t)C(t) qui reste semblable au triangle ABC [10].

Démonstration

Dans le triangle AA(t)C, l'angle en A vaut A ^ t {\displaystyle {\widehat {A}}-t} , donc l'angle en A(t) vaut π t ( A ^ t ) = A ^ {\displaystyle \pi -t-({\widehat {A}}-t)={\widehat {A}}} , donc dans le triangle A(t)B(t)C(t), l'angle en A(t) est égal à A ^ {\displaystyle {\widehat {A}}} . Par analogie, on a C ( t ) B ( t ) A ( t ) ^ = B ^ {\displaystyle {\widehat {C(t)B(t)A(t)}}={\widehat {B}}} et A ( t ) C ( t ) B ( t ) ^ = C ^ {\displaystyle {\widehat {A(t)C(t)B(t)}}={\widehat {C}}} , et les triangles sont bien semblables.

Lorsque t est égal à ω, ce triangle se réduit au premier point de Brocart P.

Or, d'après le théorème de l'angle inscrit, le point B(t) décrit le cercle passant par A et B et tangent à (BC) (son centre est donc à l'intersection de la médiatrice de [AB] et de la perpendiculaire à (BC) passant par B), le point C(t) décrit le cercle passant par B et C et tangent à (CA) et le point A(t) décrit le cercle passant par C et A et tangent à (AB). Ceci permet de construire le point P comme intersection de trois cercles [14].

De façon similaire, le deuxième point de Brocard du triangle ABC s'obtient comme intersection du cercle passant par A et B et tangent à (AC), du cercle passant par B et C et tangent à (BA) et du cercle passant par C et A et tangent à (CB).

Points de Brocard d'un triangle, avec les cercles de construction.

Construction de Lemoine

Dans un article de 1885, Émile Lemoine propose une autre construction des points de Brocard à partir du point de Lemoine[15].

Soit K le point de Lemoine du triangle ABC. On note A' l'intersection de (AK) et (BC), et on définit B' et C' de façon similaire.

  • La parallèle à (AC) passant par A' coupe (BC) en N, la parallèle à (BA) passant par B' coupe (CA) en L, et la parallèle à (CB) passant par C' coupe (AB) en M. Alors les droites (AL), (BM) et (CN) sont concourantes et se croisent au premier point de Brocard.
  • De même, la parallèle à (AB) passant par A' coupe (AC) en M', la parallèle à (BC) passant par B' coupe (BA) en N', et la parallèle à (CA) passant par C' coupe (CB) en L'. Alors les droites (AL'), (BM') et (CN') sont concourantes et se croisent au second point de Brocard.

Propriétés remarquables

  • Les deux points de Brocard sont conjugués isogonaux l'un de l'autre.
  • La médiane issue d'un sommet du triangle, la symédiane issue d'un second sommet et une des droites de Brocard issue d'un troisième sommet sont concourantes.

Application à la poursuite triangulaire

Article détaillé : problème des souris.

Trois chiens placés initialement aux sommets d'un triangle ABC se poursuivent dans le sens A poursuivant B, poursuivant C, poursuivant A  ; R. K. Miller a déterminé en 1871[10] que le triangle formé par les trois chiens reste semblable à lui-même si et seulement si les vitesses respectives de A,B,C sont  proportionnelles à  b 2 c , c 2 a , a 2 b {\displaystyle b^{2}c,c^{2}a,a^{2}b} .

Dans ce cas, le premier point de Brocard du triangle formé par les chiens reste fixe et les chiens se rencontrent simultanément en ce point ; de plus, les courbes décrites sont des spirales logarithmiques[10], par définition tangentielle de ces dernières.

Troisième point de Brocard

Les coordonnées barycentriques des premier et second points de Brocard invitent à créer un troisième point de Brocard, dont les coordonnées barycentriques sont : ( 1 a 2 , 1 b 2 , 1 c 2 ) {\displaystyle \left({\frac {1}{a^{2}}},{\frac {1}{b^{2}}},{\frac {1}{c^{2}}}\right)} .

Ce point porte le numéro X76 dans la nomenclature de Kimberling[16]. Il est situé sur l'hyperbole de Kiepert.

Notes et références

  1. « Bicentric Pairs », sur faculty.evansville.edu
  2. Henri Brocard, « Question 1166 », Nouvelles annales de mathématiques,‎ (lire en ligne)
  3. C. Chadu, « Solution de la question 1166 », Nouvelles annales de mathématiques,‎ (lire en ligne)
  4. Henri Brocard, « Propriétés du triangle », Nouvelles Correspondances Mathématiques, vol. 3,‎ , p. 65-69,106-110,187-192
  5. J. Neuberg, « .. », Mathesis, vol. 1,‎ , p. 175
  6. M. Vigarié, « Sur un ouvrage de Crelle », Journal de mathématiques élémentaires,‎ , p. 33 (lire en ligne [PDF])
  7. (de) Ludwig Crelle, Über einige Eigenschaften des ebenen geradlinigen Dreiecks : rücksichtlicht dreier durch Winkel-Spitzen gezogenen geraden Linien ; mit 2 Kupfertafeln., Berlin, (lire en ligne)
  8. Jean-Louis Ayme, « La géométrie de Brocard » [archive] [PDF], p. 17
  9. (la) C.F.A. Jacobi, De triangulorum rectilineorum proprietatibus quibusdam nondum satis cognitis, Mumburgi, (lire en ligne)
  10. a b c et d (en) Arthur Bernhart, « Polygons of Pursuit », Scripta Mathematica 24,‎ , p. 23-50 (lire en ligne)
  11. (en) Eric W. Weisstein, « Brocard Line », sur MathWorld
  12. (en) Eric W. Weisstein, « Brocard Axis », sur MathWorld
  13. (en) Eric W. Weisstein, « Brocard Midpoint », sur MathWorld
  14. Mohammed Aassila, 1000 challenges mathématiques, géométrie, Ellipses, , p. 33
  15. Émile Lemoine, « Sur une généralisation des propriétés relatives au cercle de Brocard et au point de Lemoine », Nouvelles annales de mathématiques, vol. 3, no 4,‎ , p. 201-223 (lire en ligne)
  16. Encyclopédie ETC X76

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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