Théorème de la bijection

En analyse réelle, le théorème de la bijection est un corollaire du théorème des valeurs intermédiaires, affirmant qu'une fonction continue et strictement monotone sur un intervalle constitue une bijection entre cet intervalle et son image. Cette bijection est même un homéomorphisme, c'est-à-dire que la fonction réciproque est également continue.

Ce théorème n'est pas vrai sur les nombres rationnels, ce qui a empêché une construction rigoureuse de l'analyse jusqu'au XIXe siècle. Pour une approche rigoureuse, il a fallu attendre les travaux de Méray, Dedekind et de Cauchy qui ont fourni une construction des nombres réels.

Énoncé

Sur un segment

Théorème de la bijection entre segments — Si f est une fonction continue et strictement monotone sur un intervalle [a, b] et à valeurs réelles, alors elle constitue une bijection entre [a, b] et l'intervalle fermé dont les bornes sont f(a) et f(b).

Démonstration

Notons J cet intervalle fermé, c'est-à-dire l'ensemble des réels compris entre f(a) et f(b).

  • La monotonie de la fonction implique que l'image de l'intervalle [a, b] est contenue dans J :
    • si f est croissante, pour tout x de [a, b] on a f(a) ≤ f(x) ≤ f(b) ;
    • si f est décroissante, pour tout x de [a, b] on a f(b) ≤ f(x) ≤ f(a).
  • Le fait que cette monotonie soit stricte assure que deux réels distincts ne peuvent avoir la même image, autrement dit la fonction est injective sur [a, b].
  • Enfin, le théorème des valeurs intermédiaires (qui s'appuie sur l'hypothèse de continuité) garantit que tout élément de J admet au moins un antécédent par f, c'est-à-dire que la fonction est surjective dans J.

Formulation équivalenteSi f est continue et strictement monotone sur un intervalle [a, b] alors, pour tout réel k dans J, il existe une unique solution à l'équation f(x) = k d'inconnue x dans [a, b]. En outre, cette équation n'a pas de solution sur [a, b] pour les autres valeurs de k.

Sur un intervalle quelconque

Forme de l'intervalle image J {\displaystyle J} en fonction du sens de la monotonie de f {\displaystyle f} et de la forme de l'intervalle I {\displaystyle I} de départ.
I {\displaystyle I} f {\displaystyle f} croissante f {\displaystyle f} décroissante
[ a ; b ] {\displaystyle [a;b]} [ f ( a ) ; f ( b ) ] {\displaystyle [f(a);f(b)]\,} [ f ( b ) ; f ( a ) ] {\displaystyle [f(b);f(a)]\,}
[ a ; b [ {\displaystyle [a;b[} [ f ( a ) ; lim b f [ {\displaystyle \left[f(a);\lim _{b}f\right[} ] lim b f ; f ( a ) ] {\displaystyle \left]\lim _{b}f;f(a)\right]}
] a ; b ] {\displaystyle ]a;b]} ] lim a f ; f ( b ) ] {\displaystyle \left]\lim _{a}f;f(b)\right]} [ f ( b ) ; lim a f [ {\displaystyle \left[f(b);\lim _{a}f\right[}
] a ; b [ {\displaystyle ]a;b[} ] lim a f ; lim b f [ {\displaystyle \left]\lim _{a}f;\lim _{b}f\right[} ] lim b f ; lim a f [ {\displaystyle \left]\lim _{b}f;\lim _{a}f\right[}

Le théorème se généralise à des intervalles ouverts ou semi-ouverts, l'intervalle J {\displaystyle J} étant alors un intervalle de même nature, avec des bornes pouvant être finies ou infinies. L'existence des limites de la fonction aux bornes de l'intervalle est assurée par la monotonie : il s'agit alors des bornes supérieure et inférieure des valeurs de la fonction sur cet intervalle.

Cette généralisation peut être ramenée à la formulation suivante :

Théorème — Si f {\displaystyle f} est continue et strictement monotone sur un intervalle I {\displaystyle I} de bornes a {\displaystyle a} et b {\displaystyle b} (finies ou infinies), pour tout réel k {\displaystyle k} strictement compris entre les limites de f {\displaystyle f} en a {\displaystyle a} et en b {\displaystyle b} , il existe un unique c {\displaystyle c} de I {\displaystyle I} tel que f ( c ) = k {\displaystyle f(c)=k} , autrement dit l'équation f ( x ) = k {\displaystyle f(x)=k} admet une unique solution dans I {\displaystyle I} .

Applications

Ce théorème permet de définir certaines fonctions réciproques comme la fonction racine carrée, les fonctions trigonométriques réciproques arc sinus, arc cosinus et arc tangente, mais aussi l'exponentielle à partir du logarithme népérien.

Réciproques du théorème

Il est possible de construire des bijections entre intervalles réels qui ne sont ni monotones ni continues.

Démonstration

La fonction f {\displaystyle f} définie sur [ 0 , 2 ] {\displaystyle [0,2]} par f ( x ) = x {\displaystyle f(x)=x} si x {\displaystyle x} appartient à [ 0 , 1 [ {\displaystyle [0,1[} et f ( x ) = 3 x {\displaystyle f(x)=3-x} si x {\displaystyle x} appartient à [ 1 , 2 ] {\displaystyle [1,2]} définit une bijection de [ 0 , 2 ] {\displaystyle [0,2]} dans lui-même alors qu'elle n'est ni monotone ni continue.

En revanche, certains résultats peuvent être considérés comme des réciproques du théorème de la bijection.

  • Une injection d'un intervalle dans ℝ qui est continue — ou plus généralement de Darboux, c.-à-d. vérifiant la propriété des valeurs intermédiaires — est nécessairement monotone[1]. En particulier, toute bijection continue entre intervalles réels est monotone.
  • Une surjection monotone d'une partie quelconque de ℝ sur un intervalle est nécessairement continue[2]. En particulier, toute bijection monotone entre intervalles réels est continue.

Homéomorphisme

Une fonction continue de A vers B admettant une réciproque continue de B vers A est appelée un homéomorphisme. Les hypothèses des énoncés précédents permettent en réalité de démontrer non seulement l'existence d'une bijection mais aussi le caractère continu de sa réciproque. Le théorème de la bijection peut alors s'énoncer ainsi :

Théorème — Soit une fonction continue et strictement monotone, d'un intervalle I dans ℝ, induisant donc une bijection f de I sur une partie J de ℝ, de bijection réciproque f−1 : JI (strictement monotone de même sens que f[3]). Alors :

  • J est un intervalle ;
  • f est un homéomorphisme, c'est-à-dire que f−1 : JI est continue.
Démonstration
  • J est un intervalle. C'est une conséquence directe du théorème des valeurs intermédiaires car I est un intervalle et f est continue sur I.
  • f 1 {\displaystyle f^{-1}} est continue. C'est une application du dernier énoncé de la section Réciproques du théorème : f 1 {\displaystyle f^{-1}} est une fonction monotone surjective d'un intervalle, J, sur un intervalle, I, donc f 1 {\displaystyle f^{-1}} est continue.

Le fait qu'une bijection continue ait une réciproque continue n'est pas toujours vrai.

  • Cette propriété peut être fausse si l'ensemble de départ ou d'arrivée n'est pas ℝ.
  • Cette propriété peut être fausse si l'ensemble de départ n'est pas un intervalle de ℝ.
  • Cette propriété est une propriété globale : une bijection f de ℝ dans ℝ, continue en a, peut avoir une réciproque non continue en f(a).
Contre-exemples
  • La fonction de [0, 2π[ dans le cercle unité du plan ℝ×ℝ qui à θ associe (cosθ, sinθ) est une bijection continue dont la réciproque n'est pas continue en (1,0).
  • La fonction de [0, 1[ ∪ [2, 3[ dans [0, 2[ qui, à x, associe x si x < 1 et x – 1 si x ≥ 2, est une bijection continue strictement monotone dont la réciproque n'est pas continue en 1.
  • La fonction[4] de ℝ dans ℝ définie par :
    • f est impaire ;
    • f(2k) = k pour tout entier naturel k ;
    • f ( 2 k + 1 ) = 1 2 k + 3 {\displaystyle f(2k+1)={\frac {1}{2k+3}}} pour tout entier naturel k ;
    • f ( 1 k ) = 1 2 k 2 {\displaystyle f\left({\frac {1}{k}}\right)={\frac {1}{2k-2}}} pour tout entier k strictement plus grand que 1 ;
    • f(x) = x pour tout réel positif x différent d'un entier ou de l'inverse d'un entier ;
    est une bijection continue en 0 dont la réciproque n'est pas continue en 0.

Notes et références

  1. (en) Marian Mureșan, A Concrete Approach to Classical Analysis, New York, Springer, (ISBN 978-0-387-78933-0, lire en ligne), p. 165-166. Également démontré dans « Théorème de la bijection » sur Wikiversité.
  2. Énoncé par Alain Mézard et Charles Delorme, Cours de mathématiques supérieures, vol. 2, PUF, (lire en ligne), p. 101 et 255 et démontré dans « Théorème de la bijection » sur Wikiversité. Daniel Guinin et Bernard Joppin, Analyse MPSI, Bréal, (lire en ligne), p. 163, th. 10 (b), ne l'énoncent que lorsque l'ensemble de départ est aussi un intervalle, et le démontrent moins directement (à l'aide du théorème de la limite monotone).
  3. Cette monotonie de f−1 ne nécessite pas que f soit continue ni que I soit un intervalle. Elle est simplement due au fait que l'ordre sur I est total : cf. Relation d'ordre#Applications croissantes.
  4. Bertrand Hauchecorne, Les Contre-exemples en mathématiques, Ellipses (ISBN 978-2-7298-8806-0), p. 61.

Article connexe

Théorème de l'invariance du domaine

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